Parler de la dégustation impose de traiter des cinq sens et donc forcément des capacités et des limites de chacun comme l’anosmie. Lors de mes interventions, j’ai donc toujours exposé les déficiences que l’humain peut subir, notamment l’anosmie (perte de l’odorat). Je me souviens avoir mentionné une fois à quel point une vie sans odeur me semblait triste, notamment sur le plan gastronomique… C’est alors qu’une des participantes acquiesça mon propos touchée elle-même par ce phénomène.
Il y a quelques années, la part de la population n’ayant pas d’odorat (anosmique) ne s’élevait encore qu’à 5 %. On évaluait également à près de 20 % la part des français touchée par l’hyposmie (perception faible ou partielle des odeurs). Mais ça, c’était avant… la pandémie ! En effet, l’un des symptômes de la COVID-19 est la perte de goût et / ou d’odorat…
L’anosmie : une opportunité pour les neurosciences ?
Lorsque cette information a été révélée dans les médias j’ai pensé que le phénomène serait passager… J’y voyais donc une formidable opportunité pour les neuroscientifiques de percer quelques nouveaux mystères sensoriels. De nombreuses questions pouvaient alors être étudiées : l’absence de perception des arômes permet-elle de décupler les autres perceptions lors de la dégustation ? Sans percevoir les arômes, l’intensité des saveurs est-elle modifiée ?
S’apercevoir de la perte de l’odorat
Je ne me doutais pas encore être prochainement victime d’anosmie…
C’est arrivé un soir. Comme chaque jour, je prenais un morceau de chocolat lorsque j’ai été frappée par l’intensité de sa saveur sucrée. C’était pourtant un chocolat que je consomme régulièrement. Instinctivement, j’ai commencé à analyser mes perceptions : sucré, fondant, onctueux… mais pas d’arôme. Où était passée cette note lactée mêlée de noisettes qui ravissait habituellement mon palais ? Rien… J’ai pensé que le chocolat était peut-être éventé et là… stupeur, j’ai compris. J’avais la COVID et j’avais perdu l’odorat. Je me suis précipitée sur une bouteille de parfum, et j’en ai aspergé… rien, juste la sensation brûlante de l’alcool dans mes narines… J’ai foncé sur mes échantillons d’arômes olfactifs et mes pots à épices : le néant…
Expérimentations sensorielles sans l’odorat
Je me suis alors dit que c’était une opportunité incroyable pour tester de nouvelles expériences. J’ai commencé à déguster plein de mets… Au début, le pouvoir de suggestion me permettait presque d’imaginer les arômes qui autrefois m’enchantaient… Puis, j’ai été surprise par les textures auxquelles on ne prête pas assez attention. Sans arôme, qu’est-ce qu’un pilon de poulet peut sembler visqueux ! Malheureusement, une fois l’enthousiasme de cette exploration passée, je n’ai pu que constater à quel point cette dimension sensorielle me manquait au quotidien. Puis, peu à peu l’angoisse que cet état soit permanent m’a gagné.
Risques & handicap : quand l’anosmie devient un danger
Outre l’aspect professionnel qui semblait quelque peu condamné, comment accepter une vie sans parfum ? Certes, cela peut être pratique pour nettoyer la caisse du chat… Mais qu’advenait-il de ces milliers de petits plaisirs olfactifs quotidiens : un arbre en fleurs, le fumet d’un bon plat, l’odeur de la peau de mon fils, les effluves du shampooing sous la douche, l’empreinte parfumée d’un proche dans une pièce, les arômes d’une boisson, d’un snack, d’un plat, d’un chocolat… Et en cas de danger, comment sentir un début d’incendie, une fuite de gaz ?
L’anosmie : inconsidérée et minorée
J’ai alors rapidement effectué quelques recherches sur le net et j’ai découvert avec effroi que l’anosmie n’était pas reconnue comme un handicap. La MDPH évaluerait à 2% le handicap lié à la perte de l’odorat. Oserait-on expliquer à un musicien devenu sourd qu’il n’est alors handicapé qu’à 2% ?
Pire encore, aucun test n’est systématiquement prescrit aux enfants pour évaluer leur perception olfactive. Des visites de suivi sont recommandées sur l’aspect bucco-dentaire, la courbe de taille et de poids sont suivies, des tests de vue et d’audition sont systématiquement pratiqués lors des visites médicales, mais rien pour l’odorat ni le goût. Difficile donc d’évaluer la véritable part de la population touchée !
Savez-vous qu’aucune de prise en charge des soins pour recouvrer l’odorat n’est assurée que cela survienne suite à un traumatisme ou une maladie telle que la COVID ?
Comment est-ce possible qu’être privé d’un de ses cinq sens soit aussi peu pris en considération de nos jours ? Si les frustrations engendrées par la perte de l’odorat semblent anodines, c’est que vous en sous-estimez la portée. S’alimenter ne devient plus un plaisir mais un simple besoin. Ne négligeons pas non plus le risque dépressif qui devient une réalité fréquente et durable en cas d’anosmie.
Soutenons ensemble les quelques associations qui se battent au quotidien pour aider à détecter l’anosmie, rééduquer les personnes qui peuvent l’être, soutenir la recherche et oeuvrer pour la prise en charge de ce type de soins.